Avant la finale de LNA contre l’Union Tafers-Fribourg, il était clair que la partie allait être difficile et serrée. Les résultats des face-à-face durant la saison régulière – une courte victoire fribourgeoise à Tafers et un match nul à Lausanne – donnaient quelques pistes mais aussi une image trompeuse: lors de ces deux rencontres BLA s’était présenté avec des compositions alternatives. Rien de tel pour ce week-end de finale: notre n°1, Nhat Nguyen, initialement incertain, a pu être présent, tout comme Caroline Racloz et Nicolas Gerber, touchés physiquement mais rétablis à temps. Pour se donner de la flexibilité, éviter toute mauvaise surprise et alléger la charge de travail de Milosz Bochat en double, l’expérimenté Emil Holst a été également convoqué, et, en réserve, les jeunes Leila Zarrouk et Lorrain Joliat étaient prêts à se lancer dans la bataille si nécessaire. Mais même dans ces conditions optimales, on savait que rien n’allait être facile. Légèrement favori sur les trois simples messieurs, on estimait que chercher le Double Hommes 1 et le Double Mixte, royaume de l’écossais Alex Dunn, serait compliqué et que dans les trois matchs restants – Double Hommes 2, Double Dames et Simple Dame – cela se jouerait à rien. Toutes ces conjectures ne nous ont pourtant pas préparés au scénario fou de ce week-end.
La rencontre “aller”
La samedi à Tafers les débats se sont ouverts avec le Double Homme 1 et le Double Dames. La paire masculine fribourgeoise, Oliver Schaller, ancien international suisse et actuel champion national de la discipline, associé au susmentionné Alex Dunn, vice-champion d’Europe, avait à ce stade de la saison remporté 13 de leur 14 matchs. Cela dit, lors de leur dernière confrontation, les lausannois Minh Quang Pham et Nhat Nguyen étaient passé très proche de l’exploit. Chez les dames, c’étaient les actuelles championnes de Suisse, Nicole Schaller et Céline Burkart qui attendaient Caroline Racloz et Dounia Pelupessy. Un choc des générations dont le score avant cette finale en était à 3 partout.
Les deux matchs ont d’abord eu un scénario similaire: un premier set emporté clairement par Tafers et un deuxième empoché avec autorité par Lausanne. Les chemins ont ensuite divergé. Dans le Double Dames, Caroline et Dounia peinaient à trouver la carburation juste entre patience et agressivité pour se protéger des anticipations et des contre-attaques de leurs adversaires expérimentées. La sanction: défaite en 4 sets. Chez les messieurs, Minh Quang et Nhat sont parvenus a conserver un peu de la confiance et de l’élan gagnés dans la deuxième manche pour engranger sur la plus petite des marges la troisième et la quatrième! Un point important vu que nous n’étions pas favoris.
Les deux matches suivant ont donné le ton du week-end: tension et imprévisibilité. Le Simple Homme 2 et le Double Hommes 2 proposaient des redites de confrontations qui avaient eu lieu durant la saison régulière. Maxime Pierrehumbert avait battu nettement le gaucher Julian Lehmann et la paire Robin Gerber / Emil Holst s’était imposée facilement contre le danois Rasmus Messerschmidt et le champion suisse de double Andreas Zbinden. En ce jour de finale, rien n’a été net ou facile.
Extrêmement précis dans ses attaques et dans la longueur de ses dégagements et gagnant tous les duels au filet, Julian Lehmann a frustré un Maxime qui, lui, était sur courant alternatif. Les deux premiers sets tombant du côté de Tafers, les supporters Lausannois avaient des sueurs froides. Têtu, Maxime a insisté avec le même plan de jeu et est parvenu a inverser la tendance. C’est lui qui s’est mis a gagner la bataille du filet et a obtenir des lifts qu’il punissait avec bonheur de ses puissants smashes. Dominateur dans les manches trois et quatre, on s’attendait à ce que cela continue dans la cinquième. Que nenni. Un baroud d’honneur de Julian Lehmann a fait dérailler le Pierrehumbert Express et c’est le fribourgeois qui, aidé par la bande du filet, a obtenu trois volants de match! Un rallye plein d’autorité, une prise de risque payante en revers, une passe d’arme au filet et une attaque dans le couloir plus tard, c’était au tour de Maxime à 11-10 d’être à un petit point du but… et au tour de Julien de sauver la mise et de prolonger les débats! Cardiaques s’abstenir. Un nouveau duel au filet emporté par le lausannois lui a offert un deuxième volant de match et, au terme d’un long rallye, le coup signature de Maxime, le smash décroisé, parafait la victoire.
Sur l’autre terrain, Robin et Emil ont déployé leur jeu très propre, basé sur des schémas simples et efficaces. Du double à enseigner dans toutes les écoles de Badminton. 4 victoires sur 5 durant la saison régulière en est bien la preuve. Malheureusement, toute la vitesse du système des sets à 11 points a pu être démontrée dans ce match où un passage à vide d’un poignée de minutes a transformé la situation de serrée dans la quatrième manche avec une avance lausannoise de 2 sets à 1 en un avantage fribourgeois 5-1 dans la manche décisive. Avantage qui s’est hélas révélé rédhibitoire.
Avec un score de 2 à 2 dans la rencontre, l’incertitude était toujours totale au moment où le Simple Dame et le Simple Homme 3 ont débuté. Choc des générations chez les dames à nouveau, Nicole Schaller étant l’adversaire désignée de Dounia Pelupessy. On notera que lors de la demi-finale contre le BC Uzwil, l’ex joueuse internationale de Tafers avait été ménagée en ne jouant que le simple. Pas de tel calcul pour cette finale. Sur l’autre terrain, David Orteu avait pour mission de se défaire du cadet des Schaller, Benedikt.
Étonnante similitudes entre les deux matchs là encore. Après trois manches serrées, Lausanne menait 2 à 1 sur les deux terrains. Difficile alors de ne pas se projeter, en pensant au Simple Homme 1 encore à venir et, sur le papier, promis aux vaudois. La réalité de la compétition nous a vite rattrapés: David Orteu laissait filer une quatrième manche qu’il avait pourtant bien débutée et Nicole Schaller haussait le niveau de son jeu pour obtenir facilement le droit de jouer un set décisif. Aucune pitié pour les nerfs du public!
Un peu comme dans le double dames, il s’agissait pour Dounia de maintenir la main sur le jeu sans se frustrer face à une adversaire qui même sous grosse pression parvenait à trouver de la qualité dans ses coups défensifs pour prolonger les échanges. Dans cette cinquième manche, Dounia est parvenue à garder le bon cap et à poser des questions finalement trop dures pour que Nicole Schaller puisse y répondre. 3-2 Lausanne, et quelques minutes plus tard, 4-2, David Orteu ayant colmaté toutes les brèches dans son jeu pour éviter la même mésaventure quand dans le 4ème set, sa science de la construction des rallyes finissant par écœurer Benedikt Schaller.
Les sourires étaient de mise sur les visages lausannois, mais ils se sont rapidement mués en grimaces. Dans le Simple Homme 1, Nhat Nguyen était plus que mis en difficulté par le bien moins capé Rasmus Messerschmidt. Le trentenaire danois, qui a fugacement pointé le bout de son nez dans le top 100 il y a 5 ans, a fait plus que jouer crânement sa chance face à l’actuel 28ème mondial de 8 ans son cadet. Nhat n’était pas dans un grand jour, fautes directes et erreurs de jugements ne lui laissant que peu de chances face à un Messerschmidt extrêmement précis et clairement pas disposé à offrir le moindre point. Surclassé 11-4 dans la première manche et la seconde prenant la même direction, l’international irlandais a serré les cordons de la bourse au maximum, mettant au défi son adversaire de faire ses points lui-même et, à plus long terme, de gagner le combat physique. Ce n’était pas la stratégie la plus flamboyante, et elle n’a pas permis de sauver le deuxième set, mais être un bon compétiteur c’est aussi accepter de s’adapter aux moyens du jour.
En Double Mixte, c’est Céline Burkart et le très vif Alexander Dunn qui se dressaient sur la route de Caroline Racloz et Milosz Bochat. Premier match de la journée pour le bombardier polonais de Lausanne, mais plutôt qu’être frais, il s’est avéré froid, les débats ne débutant réellement qu’après que les fribourgeois aient pu s’assurer une solide avance. Trop tard donc pour sauver le premier set, mais assez pour espérer une suite compétitive, et compétitive elle a été. Malheureusement, sur un rageant 13-11, se sont les fribourgeois qui se sont envolés deux manches à rien.
On avait cru à la victoire et c’est le spectre d’un match nul qui flottait alors dans la salle des sports du Cycle d’Orientation de Tafers. Heureusement, malmené dans le troisième set, Nhat Nguyen, au charbon, arrivait à prolonger son match alors que, sur le fil du rasoir, la paire Racloz-Bochat faisait de même… avant de se faire coiffer au poteau dans la quatrième manche.
On peut parfois se demander quel est le niveau d’engagement des joueuses et joueurs étrangers qui participent aux interclubs en Suisse, sachant que leurs objectifs sportifs principaux sont, pour la plupart, ailleurs et que la grande majorité n’est présente que pour les week-ends de matchs. Lors de ce Simple Homme 1, aucune ambiguïté: l’engagement était total. Durant plus d’une heure d’un combat homérique, Nhat est parvenu petit-à-petit à épuiser un très vaillant Messerschmidt qui, fatigue oblige, a vu son niveau de jeu initialement stratosphérique légèrement baisser, puis, au bout du bout, s’effondrer. Victoire 5-3 pour Lausanne.
La rencontre “retour”
Si en demi-finale contre Yverdon la victoire du samedi 5 à 3 avait donné énormément de confiance pour le dimanche, le scénario du déplacement à Tafers – aucun match facile, quatre des cinq victoires ayant nécessité 5 manches – ne permettait pas l’ombre d’une certitude. Perdre 6-2 était improbable mais clairement dans le champs des possibles. Plus vraisemblable, mais presque autant craint, une défaite 5-3 était synonyme de “Match en Or”: un 17ème match, joué dans une discipline choisie par élimination. Chaque équipe excluant deux disciplines, il était presque certain que les choses se dirigeraient vers un double hommes de tous les danger.
Si, pour cette rencontre retour, Tafers a gardé exactement la même composition que la veille, faisant le pari que Nicole Schaller serait à même de supporter la charge de quatre matchs, BLA a ajusté sa composition pour palier à l’absence de Maxime Pierrehumbert, en vol pour les États-Unis. David Orteu s’est vu confier la charge du Simple Homme 2 contre Julian Lehmann et Nicolas Gerber celle du Simple Homme 3 face à Benedikt Schaller.
L’ordre des matchs est souvent un problème complexe, pour ménager untel, en fatiguer un autre, limiter les pauses en respectant les temps de repos et utiliser le pression du score. De façon assez mystérieuse, le choix a été fait de commencer par deux matchs perdus à l’aller: le Double Dames et le Double Hommes 2. L’idée était peut-être que si l’un deux se soldait par une victoire lausannoise, c’est une chappe de plomb qui serait alors tombée sur les espoirs fribourgeois.
Les même acteurs que la veille mais un scénario légèrement différent. Chez les hommes c’est la paire Zbinden-Messerschmidt qui s’est cette fois détachée la première. Retrouvant de la sérénité en cours de partie, Robin et Emil sont parvenus à remonter de deux manches à rien. Dans la cinquième, riche en rallyes spectaculaires, les fribourgeois se sont montrés un rien plus résistant défensivement et un tout petit plus avare en déchet offensif, l’un et l’autre se composant pour leur assurer la victoire.
Variation également dans le Double Dames. Après avoir dominé le premier set 11-3, Bukart et Schaller ont dû subir la loi de Caroline et Dounia dans les manches deux et trois. Pas de “syndrome du 4ème set” dans ce match, pas de relâchement livrant à l’équipe menée la quatrième manche sur un plateau. Les échanges sont restés âpres et tendus, mais se sont les plus aguerries des compétitrices qui ont passé l’épaule.
Décidées à prendre leur revanche, Caroline et Dounia ont démarré le set décisif en boulet de canon, menant rapidement 7-3, puis 8-4. L’expérience paie peut-être dans ce genre de situation, les fribourgeoises sont parvenues à gratter petit à petit leur retard. Dans une salle surchauffée, ce sont les locales qui ont tout de même obtenu le premier volant de match (attaque out d’un cheveu), puis le deuxième (sauvé avec panache par Burkart/Schaller). Malheureusement, le troisième a été pour l’équipe visiteuse qui l’a converti grâce à une faute en retour. Un crève-cœur ramenant le score du week-end à 5 partout. Il fallait alors aux lausannois des trésors de philosophie pour se dire que la situation restait inchangée, vu que ces matchs avait également été perdus la veille.
Les deux matchs suivants ont été le Double Homme 1 et le Simple Homme 2. Si le premier était une autre redite du samedi, Minh Quang et Nhat avaient pour mission de répéter l’exploit de battre Schaller et Dunn, le second, David Orteu contre Julian Lehmann, était inédit cette saison. Les statisticiens se souvenaient d’une victoire nette de David en 2019 et essayaient d’oublier une défaite de 2022 pour laquelle, de retour d’Allemagne pour dépanner, le vaudois n’était pas entraîné.
La soupe à la grimace continuait avec la perte 10-12 du premier set du double. Il fallait un électrochoc pour relancer la dynamique positive et il est venu de la raquette de David, débutant son match par un cinglant 8-0. Dans la foulée, le double gagnait la deuxième manche. Le thème du week-end étant les montagnes russes émotionnelles, on se prenait la tête à deux mains quelques minutes plus tard, Schaller-Dunn ne faisant qu’une bouchée de la 3ème manche et Lehmann recollant à 1-1. Des haut et des bas toujours, Minh et Nhat ont sauvés brillamment trois volants de match avant de céder 10-12 pour un troisième point fribourgeois de la journée. Un point important car il ramenait l’équilibre théorique des forces à 4-4.
Pas déstabilisé par les mésaventures du court voisin, David a pris la mesure du jeu de son adversaire et mené de bout en bout les manches trois et quatre, pour enfin mettre BLA sur le tableau du score, montrant la voie à Dounia et Nicolas pour leurs simples, respectivement contre Nicole et Benedikt Schaller. Le Simple Dame pris rapidement une tournure aussi heureuse qu’inattendue. La nuit et l’analyse vidéo portant clairement conseille et l’accumulation des matchs s’avérant peut-être trop importante pour Nicole Schaller, Dounia n’a laissé aucune chance à son adversaire, ne lui abandonnant que 15 petits points en trois manches.
Le Simple Homme 3 a été une toute autre histoire. Vainqueur d’un duel en cinq manches contre Benedikt Schaller durant la saison, Nicolas n’est pas parvenu en ce jour de finale à rééditer une performance du même calibre. Commettant des tombereaux de fautes, autant en défense qu’en attaque, il laissait Schaller engranger les deux premières manches bien trop facilement. Une bonne réaction dans le troisième set a fait bourgeonner l’espoir d’une de ces remontées héroïques dont Nicolas a le secret, mais, le retour inopportun des fautes a élagué le bourgeon.
À ce stade, c’est donc 4 à 2 que l’Union Tafers-Fribourg menait, avec comme deux matchs restants un Simple Homme 1 normalement promis à Lausanne grâce à Nhat Nguyen – mais les certitudes n’étaient plus vraiment de mise après la résistance farouche proposée par Messerschmidt le samedi – et un double mixte avec un ballotage favorable à Tafers. Un petit parfum de 3-5 et donc de Match en Or flottait, sachant que l’on n’osait pas imaginer une mortifiante défaite 2-6 ni rêver à un nul 4-4 donnant à BLA le titre.
Comme pratiquement rien dans ce week-end ne pouvait se dérouler tranquillement, Rasmus Messerschmidt a commencé par pulvériser Nhat 11-4. Ça a jeté un froid, sauf dans le kop fribourgeois. Retour de manivelle une dizaine de minutes plus tard, Caroline Racloz et Milosz Bochat ont arraché in extremis le premier set du mixte 15-13 face à Céline Burkart et Alex Dunn, et Nhat est revenu relativement sereinement à une manche partout. Parvenant à ne pas laisser les choses se compliquer comme la veille, le jeune olympien irlandais a accru son emprise sur le match, Messerschmidt n’avait peut-être pas les réserves pour, deux jours de suite, proposer du très haut niveau durant plus d’une heure. Verdict: 4-11, 11-9. 11-6, 11-3 pour Nhat.
Restait donc le mixte. Celles et ceux qui étaient du déplacement à Adliswil le 31 mars 2019 pour le barrage de promotion en LNA ne pouvaient qu’avoir un sentiment de déjà-vu: Caroline et Milosz en David confronté à un Goliath. En 2019, c’étaient les multiples champions de Finlande Sonja Pekkola et Anton Kaisti, et, en ce jour, Burkart-Dunn, battu a la régulière qu’une seule fois cette saison et jamais la saison passée.
Après le gain de la manche initiale au forceps, la réponse fut rude: 5-11. Mais on n’en avait pas fini pour autant avec les montagnes russes. Dans le troisième set, les deux paires sont restées au coude-à-coude jusqu’à 11-11. Irrespirable. Deux brefs rallyes plus tard et Malley chavirait: 13-11 pour Caroline et Milosz. Mais à peine s’étions nous pris à rêver que le “syndrome du 4ème set” frappait et frappait fort: 3-11. Ce qui a suivit fait partie de la magie du sport: une histoire qui s’écrit sous nos yeux et dans laquelle tout où presque est possible. De nul part, Caroline et Milsoz ont complètement retourné la dynamique du match et, à la façon d’un emballage final dans une course de demi-fond, ils ont sprinté vers la ligne d’arrivée en laissant Burkart et Dunn sur place. Comme dans un rêve, mais un rêve devenu réalité.
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